Hélèna Attias, responsable du pôle « Legs et donations » du FSJU, nous présente Mme Esther Tankel, survivante de la Shoah, dont le récit poignant est celui d’une famille raflée à Saint-Etienne et d’une enfant qui en réchappa de justesse. Son époux disparu, sans enfant, Esther a décidé de faire un legs au FSJU.
Esther a déjà témoigné auprès de Yad Vashem, de la fondation Shoah de Steven Spielberg et de l’université de Bar Ilan, « car il était de mon devoir de raconter ». Elle est née en 1923, dans une famille très religieuse. Sa mère était « très belle et très coquette ». Son nom de jeune fille est Klain, dont l’orthographe initiale norvégienne, Klajn, fut modifiée, en raison d’une erreur de transcription à l’arrivée de la famille paternelle en France.
En 1940, la guerre éclate et la famille se réfugie à Saint-Etienne. Son père est arrêté dans un train entre Lyon et Vienne, alors en zone « soi-disant libre ». Il meurt à Auschwitz. Ainsi que sa mère et sa petite sœur, déportées elles-aussi. Et tous les siens. Elle essaiera en vain de les retrouver durant de longs mois après la guerre, retournant en Allemagne en tant que lieutenant et interprète auprès de l’armée française et de la Croix Rouge (elle parle quatre langues). « Nous ne savions pas encore. J’avais l’espoir de retrouver au moins ma petite sœur. Je me suis dit que j’avais une chance. Malheureusement, je n’en ai pas eu. »
Esther rencontre son mari dans la Résistance, tombe enceinte mais perd l’enfant. Elle ne pourra jamais en avoir d’autre.
« Après la guerre, j’aurais pu adopter, mais je ne voulais qu’un enfant juif. A la création de l’État d’Israël, je me suis renseignée. On m’a dit : “Autant que vous voulez, nous avons recueilli beaucoup d’orphelins mais il faut vivre en Israël ». J’ai renoncé à ce projet car la carrière de mon mari était ici. Je n’ai pas repris non plus les études de médecine que j’aurais voulu poursuivre. Je n’en ai pas eu le courage. J’ai donc travaillé et dès que j’ai pu, je me suis investie, bénévolement, au Centre Rachi, à la création de l’université juive (DUEJ, ndlr) où j’inscrivais les étudiants, à l’Arche où j’aidais à l’expédition des nouveaux numéros, au CAC – Centre d’art et culture, à l’AUJF, au FSJU, à la bibliothèque de Rachi, j’adorais cela, ou encore à l’OSE – Œuvre de secours aux enfants.
Je me sentais bien dans les différents milieux juifs. J’ai toujours dit que quand je partirai, je donnerai naturellement à ma nièce, mon héritière, en Israël, la fille de ma demi-sœur et seule famille qu’il me reste, et à l’AUJF, pour aider ceux des nôtres qui sont dans la misère. Je ne veux plus qu’un seul enfant juif ait faim. Je fais également des dons tous les mois, j’envoie aussi aux enfants de Sdérot. Cela me fait mal au cœur qu’ils soient parfois obligés de dormir dans des abris et ne soient pas en sécurité. J’ai connu la faim, le froid, la peur, il m’est arrivé, après la déportation de ma famille, de dormir cachée sous un arbre, mais c’était la guerre ! Nous ne sommes plus en guerre ici, le monde est riche.
J’ai une petite pension, une petite retraite, je suis pupille de la Nation. Cela me permet de vivre normalement et de nourrir mes oiseaux. Mon appartement est petit mais je suis chez moi, j’ai un toit sur ma tête et je ne demande rien à personne, bien au contraire. Tous les jours, je dis merci mon D., je peux aider quelqu’un. C’est important pour moi. »
Quant à l’équipe du pôle legs et donation du FSJU, il s’agit d’être là pour quelqu’un qui a fait le geste le plus généreux qui soit. « Ces personnes laissent une trace de leur passage et aident la communauté en France et en Israël, admire Hélèna, « certains m’ont dit “moi, je n’ai pas eu d’enfants je souhaite aider les enfants des autres”, comme Esther, et c’est absolument bouleversant. »
Par Aline Kremer